Cet article a été initialement écrit et publié par Langlois Lawyers, LLP (Elisabeth Neelin).
INTRODUCTION
Le 24 mai 2022, le gouvernement du Québec a adopté la Loi sur le français, langue officielle et commune du Québec (la « Loi »), antérieurement connue sous le nom de Projet de loi 96. Plusieurs amendements apportés à la Charte de la langue française (la « Charte ») et à d’autres lois sont déjà en vigueur, et d’autres suivront au cours des prochains mois.
Ces amendements ont renforcé les exigences existantes en matière de langue française et ils ont ajouté des obligations supplémentaires qui vont avoir un effet même sur la validité des contrats de consommation et des contrats types. Ils établissent également dans quelle mesure le français doit être la langue de service tant pour les consommateurs que pour les entreprises privées au Québec. Bien que les changements soient profonds, la Loi tempère l’impact de cette réforme dans certaines situations exceptionnelles. Pour vous aider à vous y retrouver dans ces changements, nous vous proposons ci-dessous un aperçu des éléments clés de la réforme et la description détaillée de certaines exceptions, bien que limitées, à la règle générale selon laquelle le français est la langue du commerce au Québec.
CONTRATS ET AUTRES DOCUMENTS COMMERCIAUX
En général, sous réserve d’exceptions limitées, tous les contrats et documents doivent être rédigés et mis à disposition en français pour se conformer aux nouvelles exigences de la Charte. Tous les documents liés au contrat, tels que les factures et les reçus, sont désormais soumis à la même exigence.
Contrats d’adhésion (contrats types prédéterminés par une partie)
Dans la version précédente de la Charte, même s’il était obligatoire de rédiger les contrats d’adhésion en français, les clauses de choix de langue étaient acceptées.
Désormais, pour qu’une version non française d’un contrat d’adhésion soit contraignante, deux conditions doivent être remplies:
- La partie adhérente doit avoir donné son consentement exprès à être liée par la version dans l’autre langue ; et
- La version française doit avoir été préalablement fournie à la partie adhérente, ce qui signifie qu’une version française doit exister.
Il existe quelques exceptions à la règle générale selon laquelle tous les contrats doivent avoir une version française. Par exemple, certains contrats, comme les contrats de travail, certains contrats dans les secteurs de la finance et des assurances et, surtout, les contrats utilisés dans les relations commerciales avec des personnes à l’extérieur du Québec, sont exemptés. Voir ici un tableau détaillant les exigences et les contrats exemptés.
This new framework will come into force on June 1st, 2023.
Contrats de consommation
Suite aux modifications apportées à la Loi sur la protection du consommateur, les parties ne peuvent plus consentir valablement à ce qu’un contrat de consommation soit rédigé dans une autre langue que le français, à moins qu’une version française du contrat n’ait été fournie au consommateur au préalable. Dans le cas contraire, le contrat peut ne pas être valide et contraignant. Mentionnons que les entreprises doivent toujours disposer d’une version française d’un contrat de consommation.
This new framework is, as of June 1st, 2022, in force.
Autres contrats et documents
En outre, les contrats suivants doivent désormais être rédigés en français, sauf si les parties souhaitent expressément qu’ils soient rédigés exclusivement dans une autre langue:
- Les contrats de vente ou d’échange d’une partie ou de la totalité d’un immeuble principalement résidentiel de moins de cinq logements ou d’une fraction de certains condominiums principalement résidentiels,
- Une promesse de vente ou d’échange d’un tel bien,
- L’avant-contrat dans la mesure où il concerne la vente d’un immeuble d’habitation, construit ou à construire, par un constructeur ou un promoteur, et
- Le mémorandum d’information dans le cas de la vente d’une fraction de copropriété divise ou de la vente d’une part de copropriété indivise dans un immeuble d’habitation.
This new framework is, as of June 1st, 2022, in force.
La documentation commerciale, incluant désormais les bons de commande
La Charte prévoyait déjà que les documents accessibles au public tels que les catalogues, brochures, dépliants et annuaires commerciaux devaient être rédigés en français. Les bons de commande, ainsi que tout autre document accessible au public de même nature que ceux énumérés, sont désormais ajoutés à cette liste.
Il est interdit de mettre à la disposition du public l’un de ces documents dans une langue autre que le français, sauf si la version française est disponible à des conditions au moins aussi favorables que la ou les autres versions.
This new framework is, as of June 1st, 2022, in force.
COMMUNICATIONS AVEC LES CLIENTS
La Charte prévoit déjà le droit du consommateur de biens et de services d’être informé et servi en français. Désormais, les entreprises qui offrent des biens et des services sont explicitement tenues de respecter ce droit et d’informer et de servir tous les clients, et non seulement les consommateurs, en français.
Par conséquent, toutes les communications avec les clients au Québec doivent être en français.
Exceptionnellement, le consommateur n’a pas le droit de faire cesser la violation de ce droit si elle a été commise par une entreprise qui employait moins de cinq personnes au moment de la violation.
This new framework is, as of June 1st, 2022, in force.
PUBLICITÉ COMMERCIALE ET AFFICHAGE PUBLIC
En règle générale, l’affichage public et la publicité commerciale doivent être en français. Ils peuvent également être à la fois en français et dans une autre langue à condition que la version française apparaisse de façon nettement prédominante. Cette règle reste inchangée par le Projet de loi 96.
Un nouveau cadre est établi concernant l’utilisation de marques de commerce non françaises dans l’affichage public et la publicité commerciale, créant un corridor étroit pour l’application de cette exception. Deux conditions doivent être remplies pour que l’affichage public et les affiches de publicité commerciale puissent utiliser une marque de commerce qui est rédigée, même partiellement, exclusivement dans une langue autre que le français:
- La marque doit être dûment et complètement enregistrée au sens de la Loi canadienne sur les marques de commerce; et
- Une version française correspondante ne doit pas figurer dans le registre tenu en vertu de cette loi.
Il ressort de la rédaction que si une version française de la marque est enregistrée, il ne sera pas possible d’utiliser la version non française.
This new framework will come into force on June 1st, 2025.
MARQUAGE ET ÉTIQUETAGE DES PRODUITS
Avant la réforme, les marquages et étiquettes sur les produits, leurs contenants ou emballages, ainsi que les documents ou objets fournis avec eux (par exemple, mode d’emploi, certificat de garantie, etc.) devaient être rédigés en français, mais ils pouvaient être accompagnés d’une ou plusieurs traductions. La Charte précise désormais que les versions non françaises ne doivent pas être accessibles à des conditions plus favorables que celle rédigée en français.
En outre, l’utilisation d’une marque dans une langue autre que le français sur un produit, son contenant, son emballage ou sur les documents d’accompagnement sera également soumise aux mêmes restrictions supplémentaires que celles qui s’appliquent à la publicité commerciale et à l’affichage (voir ci-dessus). En outre, si un terme générique ou une description du produit est inclus dans la marque, il doit figurer en français sur le produit ou sur un support qui lui est attaché de manière permanente. La portée exacte de cette nouvelle disposition reste ambiguë, notamment en raison du manque de précision quant à la portée de l’expression « un terme ou une description générique du produit ».
Ces nouvelles règles peuvent avoir un impact sur toute personne qui vend, distribue, loue, offre ou détient un produit non conforme.
The amendment to specify that inscriptions on a product in a language other than French cannot be made available on more favourable terms came into force on the date of Royal Assent, June 1st, 2022. The provision concerning the use of trademarks in inscriptions on products will come into force on June 1st, 2025.
PROCÉDURES JUDICIAIRES
Aucune entreprise (personne morale) ne pourra déposer des procédures judiciaires en anglais que si elles sont accompagnées d’une traduction française certifiée par un traducteur agréé aux frais de la partie requérante. Le greffier des tribunaux du Québec refusera tout dépôt unilingue. D’autres restrictions entreront en vigueur en ce qui concerne l’émission de jugements en anglais et les exigences de traduction pour certains types de procédures. Cette exigence aura une incidence sur toute entreprise qui engage des procédures au Québec ou qui doit se défendre devant les tribunaux québécois.
This new filing requirement will come into force on September 1st, 2022.
SANCTIONS
La réforme de la Charte intensifie les conséquences qui peuvent être imposées en cas de violation. Notamment :
- Le ministre de la Langue française, après consultation de l’OQLF, peut révoquer un permis, ou une autorisation semblable, détenu par une entreprise qui contrevient de façon répétée à la Charte.
- Les dispositions d’un document juridique ou d’un contrat peuvent être déclarées nulles si elles constituent une violation des dispositions de la Charte.
- Dans un contrat d’adhésion, la partie adhérente est présumée ignorer une disposition externe rédigée dans une langue autre que le français, sauf si le contrat a été rédigé dans l’autre langue à sa demande.
- Une disposition rédigée dans une langue autre que le français est réputée incompréhensible, sauf si le contrat a été rédigé dans l’autre langue à la demande de la partie la plus faible.
Les sanctions pénales ont également été renforcées et les amendes ont été augmentées en conséquence. Notamment, une société qui contrevient à un ordre émis par l’OQLF de se conformer ou de cesser une violation de la Charte est coupable d’une infraction et passible d’une amende allant de 3,000$ à 30,000$.
This new framework is, as of June 1st, 2022, in force.
CONCLUSION
Il ressort des modifications apportées à la Charte qu’en règle générale, les entreprises et les organisations sont tenues de privilégier le français dans presque toutes les sphères d’activité. En effet, la réponse à la question « Devons-nous faire ceci en français ? » sera presque toujours un retentissant « Mais oui ! »
Certaines de ces exigences sont déjà en vigueur et l’OQLF a déjà commencé à frapper à des portes. Dans ces circonstances, les entreprises et les organisations seraient bien avisées d’examiner de près l’impact de ces exigences sur leurs activités actuelles et futures, à la fois pour explorer les possibilités de conformité et pour identifier toute exception ou exemption possible dont elles pourraient bénéficier.
L’équipe de Langlois est équipée pour accompagner les entreprises dans cet examen afin d’assurer leur conformité à la loi et leur tranquillité d’esprit. Pour de plus amples informations, veuillez contacter Elisabeth Neelin (Elisabeth.Neelin@langlois.ca).
D’autres ressources concernant les amendements et la mise en œuvre du Projet de loi 96 sont disponibles ici.