Cet article a été originellement écrit et publié par DLA Piper (Stephanie Blakely, Tania Da Silva, Pablo Guzman).
Mise à jour réglementaire | 31 mai 2022
Le 13 mai 2021, l’Assemblée nationale du Québec a déposé le Projet de loi 96, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (« Projet de loi 96 ») lequel proposait l’apport de modifications considérable à la Charte de la langue française, connue sous le nom de Loi 101 (la « Charte »), visant à assurer la vitalité de la langue française au Québec. Le 4 novembre 2021, les députés de l’Assemblée nationale des quatre partis ont voté à l’unanimité en faveur de « l’adoption de principe » du Projet de loi 96.
Le 12 mai 2022, l’Assemblée nationale a adopté le Projet de loi 96, avec amendements, après avoir pris en considération le rapport de la Commission de la culture et de l’éducation. Le 24 mai 2022, le projet de Projet de loi 96 a été officiellement adopté par l’Assemblée nationale qui a voté en sa faveur à la majorité des voix.
À la lumière de tout ce qui précède, une vague de changements s’annonce au Québec en matière d’exigences linguistiques et les entreprises doivent se préparer pour son retentissement. Les entreprises qui mènent des activités au Québec ou qui ont des employés dans cette province doivent se familiariser avec les amendements apportés à la Charte par le projet de Projet de loi 96. L’article suivant présente un aperçu général sur les points saillants du Projet de loi 96.
Aux termes du Projet de loi 96, toutes les offres d’emploi, de mutation ou de promotion devront être faites en français. Toutes les communications et toute la documentation en matière d’emploi, y compris les documents ultérieurs au congédiement, devront également être rédigées et mises à la disposition des travailleurs en français. Cela comprend particulièrement la documentation interne comme les documents de formation qui, jusqu’à présent, ne sont pas assujettis à l’obligation d’être publiés en français.
Le Projet de loi 96 stipule que les contrats de travail composés de clauses-types et les contrats de travail qui constituent des contrats d’adhésion rédigés dans une langue autre que le français ne sont pas contraignants pour les employés, sauf si ces deux types de contrats sont d’abord présentés au candidat en leur version française et que le candidat exprime sa volonté de s’assujettir au contrat en une langue autre que le français. Par conséquent, les employeurs seront tenus d’offrir aux employés québécois un contrat de travail rédigé en français en tout premier lieu. À la différence du passé, ce changement aura pour effet d’interdire aux employeurs de fournir simplement aux employés québécois un contrat de travail standard rédigé dans une autre langue que le français, comportant une clause de « choix de langue » leur permettant de choisir expressément de conclure leur contrat dans une autre langue que le français. Toutefois, cette règle ne s’appliquera pas aux contrats de travail négociés individuellement lesquels peuvent être rédigés exclusivement dans une autre langue que le français à la demande expresse des parties.
En ce qui concerne le processus d’embauche, le Projet de loi 96 régit strictement l’exigence de la connaissance d’une langue autre que le français. En règle générale, l’interdiction d’exiger la connaissance d’une langue autre que le français comme condition d’emploi reste en vigueur, à moins que la nature des fonctions de l’emploi n’exige spécifiquement cette connaissance. Cependant, dans les cas où un emploi exigeait effectivement la connaissance d’une langue autre que le français, le Projet de loi 96 oblige les employeurs à prendre tous les moyens raisonnables pour éviter une telle exigence. Par conséquent, pour qu’un employeur puisse exiger la connaissance d’une langue autre que le français, il est tenu de démontrer:
Ces critères s’appliquent également aux employés qui sont promus ou mutés au sein d’une entreprise.
Le Projet de loi 96 exige que les employeurs annonçant une offre d’emploi dans une langue autre que le français annoncent simultanément l’offre d’emploi en français, en utilisant des moyens de transmission de même nature et atteignant un public cible d’une taille proportionnellement comparable.
Le Projet de loi 96 offre un nouveau recours aux employés qui estiment avoir été victimes de discrimination ou de harcèlement en raison du fait qu’ils ne maîtrisent que très peu, ou pas du tout, une langue autre que le français, parce qu’ils ont revendiqué la possibilité de s’exprimer en français ou parce qu’ils ont exigé le respect d’un droit garanti par la Charte. Le Projet de loi 96 impose aux employeurs québécois l’obligation positive de prendre les moyens raisonnables pour prévenir une telle conduite et de la faire cesser si elle est portée à leur attention. Les employés disposent de 45 jours après la survenance d’un incident pour déposer une réclamation auprès de la CNESST.
La francisation est un ensemble de règles visant à assurer la généralisation de l’usage du français dans tous les aspects des grandes entreprises du Québec. Dans l’actualité, toute entreprise qui emploie 50 employés ou plus pendant une période d’au moins six mois doit s’inscrire auprès de l’Office québécois de la langue française (« OQLF ») et obtenir un certificat de francisation attestant que le français est la langue utilisée à tous les niveaux de l’entreprise. Le Projet de loi 96 propose d’abaisser ce seuil aux entreprises du Québec qui comptent 25 employés et plus.
De plus, le Projet de loi 96 élargit les pouvoirs d’enquête et d’inspection de l’OQLF. Comme cela est actuellement le cas en vertu de la Charte, les entreprises employant 100 employés et plus sont tenues d’avoir un comité de francisation et l’OQLF peut ordonner aux entreprises employant de 50 à 99 employés de former un tel comité. Toutefois, l’OQLF pourra désormais ordonner les entreprises employant entre 25 et 49 employés de mettre en place un comité de francisation, s’il juge que l’usage du français n’est pas suffisamment répandu à tous les niveaux de l’entreprise.
L’OQLF pourra également identifier des entreprises de certains secteurs clés comptant aussi peu que 5 employés auxquelles elle offrira des services d’apprentissage du français par le biais de Francisation Québec, une nouvelle agence du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration. Toute entreprise qui met en place les services d’apprentissage du français offerts par Francisation Québec est tenue de permettre aux personnes à son emploi qui ne sont pas en mesure de communiquer en français de recevoir ces services en classe, en ligne et dans le lieu de travail.
De plus, pour assurer le respect des règles de francisation, l’OQLF publiera et tiendra à jour une liste d’entreprises non conformes avec lesquelles le gouvernement du Québec ne pourra pas contracter ou auxquelles il ne pourra pas accorder de subventions. À l’avenir, il sera de plus en plus important pour les entreprises de se conformer aux règles de francisation, car la menace d’exclusion des contrats gouvernementaux pèse lourd dans de nombreuses industries. En vertu du Projet de loi 96, l’OQLF pourra également solliciter des injonctions à la Cour supérieure du Québec pour imposer le respect des exigences de la Charte. Voir ci-dessous pour de plus amples informations sur les sanctions en cas de non-respect de la Charte.
Le Projet de loi 96 stipule que « toute personne a droit à la justice et à la législation en français ». Dans l’actualité, les personnes morales peuvent déposer des procédures judiciaires en français ou en anglais. À partir de maintenant, les documents en anglais devront être accompagnés d’une traduction française certifiée, aux frais des parties. Par conséquent, les parties anglophones devront s’appuyer grandement sur le bilinguisme de leurs avocats pour s’assurer que rien ne soit « perdu dans la traduction » et que les plaidoiries présentent les faits de façon précise et fidèle. Ou encore, elles devront assumer le coût des traductions certifiées de leurs plaidoiries. Le Projet de loi 96 ne prévoit aucune exception à cette règle, même si toutes les parties consentent à procéder en anglais.
Bien que la Charte canadienne des droits et libertés permette de plaider en anglais ou en français, les juges ne seront pas tenus d’avoir une connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que le français, à moins que l’exercice de cette fonction ne l’exige et que tous les moyens raisonnables aient été pris pour éviter d’imposer une telle exigence. Ainsi, les parties peuvent être tenues de plaider leur cause en français si elles sont confrontées à un tribunal francophone.
Toute personne peut demander qu’une décision judiciaire rédigée en anglais soit traduite en français, aux frais du gouvernement, de l’organisme ou du ministère qui a rendu le jugement. Toute partie peut demander la traduction en anglais d’une décision judiciaire rédigée en français, aux frais du gouvernement, de l’organisme ou du service qui l’a rendu. La même règle s’applique aux décisions rendues par un organisme de l’administration civile ou par une personne désignée exerçant une fonction adjucative.
Le Projet de loi 96 établit le français comme langue de communication exclusive de l’administration civile du Québec. Les documents écrits qui sont transmis à l’administration civile pour conclure un contrat ou une entente auquel l’administration civile est partie et les documents écrits qui sont transmis en vertu d’un tel contrat ou d’une telle entente devront être rédigés en français. Une version dans une autre langue peut être jointe à la version française. Exceptionnellement, cette règle ne s’applique pas lorsque l’administration civile conclut un contrat à l’extérieur du Québec.
L’utilisation du français sera également requise lorsqu’une personne morale rendra des services à l’État.
Les demandes de permis ou autres autorisations devront être rédigées exclusivement en français. Le défaut d’utiliser le français dans les relations avec le gouvernement pourrait mener à la suspension ou à la révocation d’un permis, ou d’une autre autorisation, délivré par le Gouvernement.
Le Projet de loi 96 exige qu’une entreprise présente d’abord la version française du contrat type. Et seulement après que l’autre partie aura examiné la version française, les parties pourront choisir conjointement d’être liées par une version rédigée dans une langue autre que le français. Il convient de noter qu’aucune partie à un tel contrat ne peut exiger à l’autre partie de payer une somme quelconque pour le coût de la version française du contrat ou d’un document connexe. Cet amendement interdira donc aux parties de simplement rédiger le contrat dans une autre langue que le français et d’inclure une disposition de « choix de la langue » par laquelle les parties peuvent choisir expressément de contracter dans une autre langue que le français, comme la règle est actuellement interprétée en vertu de la Charte.
Des obligations semblables régiront la rédaction de certains contrats de transactions immobilières et de factures, reçus, acquittements (renonciations) et autres documents de même nature.
Une violation de ces exigences pourra causer la nullité du contrat. Par conséquent, les entreprises devront être particulièrement attentives au respect des règles susmentionnées. Voir la section sur les sanctions ci-dessous pour plus d’informations sur les risques de non-conformité.
Un changement important prévu par le Projet de loi 96 consiste à limiter l’exception applicable aux marques de commerce et à exiger la stricte utilisation du français dans l’affichage public des marques de commerce. Présentement, 1) une marque de commerce reconnue en vertu de la législation canadienne (c.-à-d. les marques de commerce de la common law et les marques de commerce dont la demande d’enregistrement est en cours) peut apparaître sur les affiches et les enseignes publiques dans une langue autre que le français et 2) seule une présence suffisante du français est requise pour apparaître également sur les affiches et les enseignes publiques. Cela se fait généralement en adjoignant un descripteur en français pour accompagner le nom d’une marque reconnue figurant à l’extérieur du commerce. En vertu du Projet de loi 96, 1) seules les marques de commerce enregistrées dans une langue autre que le français et pour lesquelles il n’existe pas de version française correspondante peuvent apparaître dans les enseignes, les affiches et la publicité commerciale, et 2) le français doit être « nettement prédominant » (c’est-à-dire qu’il doit être deux fois plus grand ou avoir un impact visuel plus important que l’autre langue) dans toutes les affiches et les enseignes publiques visibles de l’extérieur des locaux. En outre, le terme générique, la description des produits ou services concernés, le slogan ou tout autre terme ou indication inscrits en français pour fournir des informations sur les produits ou services aux consommateurs doivent être « nettement prédominants » s’ils sont visibles de l’extérieur des locaux. Ce changement peut avoir un impact important sur les entreprises qui font de la publicité et vendent des produits ou services au Québec : elles devront s’assurer de l’enregistrement de leurs marques de commerce et revoir toutes les enseignes, affiches et publicités commerciales pour s’assurer de leur conformité à ces nouvelles exigences.
Le Code civil du Québec sera modifié pour imposer que toutes les inscriptions de sûretés sur des biens meubles et immeubles au Québec se fassent exclusivement en français. Ainsi, toutes les demandes d’inscription requises pour inscrire une sûreté au Registre foncier et au Registre des droits personnels et réels mobiliers (« RDPRM ») devront être rédigées en français.
En outre, tous les documents annexes doivent également être rédigés en français ou accompagnés d’une traduction certifiée. Par exemple, les actes de vente, les actes d’hypothèque, les avis de location et les avis de radiation d’un droit inscrit doivent être rédigés en français ou être accompagnés d’une traduction certifiée. En ce qui concerne plus spécifiquement le RPMR, lors du remplissage du formulaire prescrit pour l’inscription d’une sûreté sur des biens meubles, la description des biens à grever doit être rédigée en français. Il est extrêmement important que la description traduite soit vérifiée comme étant exacte, sinon les créanciers peuvent se retrouver involontairement exposés à un risque de financement.
Les modifications doivent également être rédigées en français, mais il y aura une exception pour les modifications ou les corrections apportées aux documents déjà enregistrés en anglais avant l’entrée en vigueur du Projet de loi 96.
Les amendes pour les violations de la Charte augmenteront comme suit en vertu du Projet de loi 96:
En vertu du Projet de loi 96, une infraction qui se poursuit pendant plus d’un jour peut constituer une infraction distincte chaque jour où elle se poursuit.
Les administrateurs de la personne morale, de la société ou de l’association sont également présumés avoir commis l’infraction et peuvent être tenus personnellement responsables, sauf s’ils ont fait preuve de diligence raisonnable. Les amendes pour les infractions commises par un administrateur ou un dirigeant d’une personne morale sont le double de celles applicables à une personne physique. Ainsi, les amendes pour les administrateurs et les dirigeants varient de 1 400 $ à 14 000 $ pour une première infraction, de 2 800 $ à 28 000 $ pour une deuxième infraction et de 4 200 $ à 42 000 $ pour une infraction subséquente.
En dernier point, mais très important, le Projet de loi 96 crée également un nouveau droit de recours qui permettra aux personnes qui estiment que leurs droits linguistiques en français ont été violés en vertu de la Charte d’intenter une action civile contre une partie contrevenante.
À la suite de ce qui a été dit ci-dessus, les entreprises ayant une présence au Québec devraient se tenir informées et prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour se conformer à la Charte et à toute nouvelle obligation créée par le Projet de loi 96.
Bien que le Projet de loi 96 ait été adopté au moment de la rédaction de cet article, il n’avait pas encore reçu la sanction royale pour entrer en vigueur. On s’attend à ce que cela se produise bientôt, ce qui établira les diverses échéances pour se conformer aux changements législatifs énoncés dans le Projet de loi 96.
Cet article ne fournit que des informations générales sur des questions et des développements juridiques et ne vise pas à fournir des conseils juridiques spécifiques. Veuillez consulter la clause de non-responsabilité pour plus de détails.